PROJET D’INTRODUCTION DU SYSTEME AGROFORESTIER: cas du Village YOKO(KISANGANI, RD Congo)
Par KUMBA Sylvain
I. PREAMBULE
Le programme agroforestier apparaît aujourd’hui comme l’une des solutions aux problèmes de production agricole et conservation des forêts. L’importance de l’agroforesterie dans le monde n’est plus à démontrer car de nombreuses organisations internationales en mentionnent dans leurs programmes et soutiennent des projets agroforestiers. (De Staercke, 1988 ; Nair, 1989)
Considéré comme méthode de restauration de la biodiversité, l’Agroforesterie est un terme collectif incluant les systèmes d’utilisation des terres et la pratique à l’intérieur desquels les essences ligneuses vivaces sont délibérément intégrées aux cultures ou à la production animale sur une même unité de gestion de la terre, et à l’intérieur duquel doit exister des interactions écologiques et économiques entre les composantes ligneuses et non ligneuses. (Baumer, 1987)
Ainsi, elle a pour but optimisation des interactions positives et minimisation des interactions négatives entre ces composantes de manière à assurer une production de la terre plus durable et diversifiée ( développement durable, viable et soutenable) qui serait possible avec une approche conventionnelle dans les conditions agro-écologiques et socio-économiques données.
Les interactions entre les cultures et les animaux ne suffisent pas pour définir un système agroforestier, la présence des ligneux est indispensable pour qu’on parle d’agroforesterie. Au terme plus vulgaire ou simple, l’Agroforesterie est dans beaucoup de cas, l’art de mettre les arbres dans les champs.
L’introduction du système agroforestier de gestion durable à Kisangani et dans les différents terroirs environnants serait donc palliative à de nombreux problèmes à fonction écologique, économique et sociale liés à l’exploitation agricole dont le rendement demeure faible.
II. CHOIX ET CADRE GEOGRAPHIQUE DU TERROIR
Le terroir choisi est le village de Yoko situé à 35 Km de la ville de Kisangani, rive gauche du fleuve Congo, sur la route Kisangani – Ubundu, dans le district de la Tshopo, Territoire d’Ubundu, dans la collectivité de Bakumu- Mangongo.
Ce village bénéficie globalement du climat régional de la ville de Kisangani du type Af de la classification de Koppen, avec une moyenne de température oscillant entre 22,4 °C à 26 °C.
Se trouvant dans la zone tropicale de basse altitude, la végétation environnant ce village est celle de forêt tropicale dense humide comprenant des ligneux à multiusages et essences à valeur économique importante. Les sols sont ferralitiques et acides, d’où le problème d’ ’infertilité caractérisant ces sols.
La population rurale qui exploite la forêt pour leur survie, s’occupe de l’agriculture, la cueillette et de la chasse. L’activité pastorale est presque inexistante. Une Compagnie Forestière et de Transformation (C.F.T) y exploite les bois. Le maïs, le manioc, les bananiers dominent les cultures vivrières de ce village.
III. SITUATION ACTUELLE DES SYSTEMES AGRAIRES
La pratique agricole la plus ancienne caractérisant ce terroir demeure jusqu’à présent l’agriculture itinérante sur brûlis, qui est un système de gestion instable dans le temps d’utilisation des terres.
Cette pratique consiste à défricher une certaine étendue de la forêt, brûler la végétation, semer les cultures dans les cendres, récolter puis lorsque le sol n’est plus fertile, l’abandonner à la jachère pour recommencer plus loin en coupant une autre étendue forestière.(Mate, 2001)
L’agriculteur itinérant n’est pas stable, déplace les champs tous les ans, brûle au hasard la forêt. Les terres cultivées sont abandonnées dans un temps court après les premières récoltes pour raison d’infertilité des sols. Elles sont intensivement cultivées sans aucun apport extérieur et sont rarement mises en jachère.
Ceci traduit une mauvaise gestion ou utilisation des terres car les champs sont abandonnés ci et là, les cultures ne sont pas permanentes au même endroit, situation entraînant la dévastation de la forêt qui devient en lambeau et, s’ensuivent des conséquences écologiques énormes.
L’infertilité des sols reste le majeur problème qui se pose pour la gestion des terres dans la région de Kisangani et ses environs, les sols étant très acides.
Ainsi, la solution la plus efficace serait agroforestière. Et une sensibilisation à la masse paysanne de reconnaître ou accepter l’arbre (ligneux forestiers à usages multiples) dans les champs serait salutaire pour le maintien de la fertilité des sols, une production et exploitation agricole durable, un rendement meilleur et conservation des forêts.
IV. TYPES D’AGROFORESTERIE PROPOSES POUR ASSURER LA PERENNISATION DE L’AGRICULTURE
Tenant compte de l’environnement du terroir choisi, des conditions socio-économiques, de la demande sur le marché local et surtout des habitudes alimentaires de la population rurale, nous proposons au remplacement de l’agriculture sur brûlis, les types d’agroforesterie suivants :
A. Le système agrosylvicole stable dans le temps; Système intermédiaire : Jardins de case
C’est le système d’utilisation des terres situées autour d’une habitation qui intègre en une même parcelle des cultures annuelles (plantes herbacées) et pérennes (des ligneux).
D’après Michon (1985), c’est une petite forêt des plantes utiles soigneusement aménagée et qui se trouve à proximité de maisons. L’accent est mis sur les espèces domestiques à usages multiples, ligneuses et herbacées.
Pour notre village, nous disons que c’est le système d’agroforesterie villageoise intermédiaire entre la dominance ligneuse et herbacée.
1. Les espèces ligneuses à introduire ou à conserver dans le terroir et répondant aux besoins multiples
- Albinzia chineensis : espèce potentielle aidant aussi à neutraliser l’acidité du sol, bois d’œuvre
- Elæis guineensis : production huile rouge et huile palmiste, construction des cases (pétioles de feuilles), bois de chauffe, vin de palme (sève), légume (choux palmiste)
- Arbres fruitiers : Treculia africana, Dacryodes edulis (safoutier), Mangifera indica, persea americana, Cocus nucifera, Theobroma cacao, Psidium guajavae, spondias cythera, Myrianthus arboreus, citrus lemon, Careca papaya
- Engrais vert : Leucena leucocephala
- Ombrage : Flemingia grahamiana, Calliandra calothyrsus
- Médicaments : Rawvolfia vomitoria, Morinda morondoïdes, Aezdarachtia indica, Vernonia amygdala
- Arbres à chenilles : Petersianthus macrocarpus, Uapaca guineensis, brindelia ndelense
- Production du miel : Prosopis juliflora, Eucalyptus cannalindulensis, Albizia lebbeck, Gmelina arborea (Verbenaceae)
2. Les avantages du système
- Stabilité du système dans le temps
- Ce système présente une structure pluristratifiée jouant un rôle important dans la protection des sols contre l’érosion
- Richesse spécifique adéquate, permet une conservation importante de la biodiversité et protection de l’environnement
- Stabilise le taux de couverture des besoins alimentaires de la population rurale
- Coût de gestion insignifiant et flexibilité socio-économique jouant en faveur de sa pérennité
- Productions multiples étalées sur toute l’année
- Diversification des niches écologiques et des strates exploitées ; constitution de micro-environnement favorable à la germination et à la croissance de certaines espèces
- Système agroforestier économiquement viable, écologiquement soutenable et respectueux de l’environnement
B. Système agrosylvicole stable dans le temps : Système de cultures en allées "Alley cropping" (Cas de jachère améliorante à Leucena leucocephala comme substitut à la culture itinérante sur brûlis)
Le choix pour ce système se justifie par le fait qu’il peut jouer un rôle important dans le maintien de la fertilité du sol tout en s’intégrant facilement aux agrosystèmes traditionnels.
Ce système de culture en allées est une technique agroforestière à deux composantes reparties dans le temps et dans l’espace ; d’une part les ligneux (légumineuses) fixateurs d’azote et d’autre part les cultures saisonnières.
Pour notre terroir les cultures vivrières dans les allées seraient composées de : Zea mays (maïs), Manihot esculenta (manioc), voire aussi Musa spp (bananiers), etc.……
1. Les espèces ligneuses à introduire :
Les haies de légumineuses seront principalement constituées de :
- Leucena leucocephala (Mimosaceae) ; Engrais vert, fixateur d’azote, ombrage plus qualité du sol dans les plantations (fertilité des sols), production aliments, bois à brûler, charbon à bois
- Flemingia grahamiana (Fabaceae) ; conservation et protection du sol contre l’érosion, mulch dans le contrôle des mauvais herbes (adventices), ombrage, bois de feu
- Acacia angustissima (Mimosaceae) ; bois de chauffe, ombrage,
- Calliandra calothyrsus (Mimosaceae) ; Apiculture, bois de feu, ombrage,
2. Les avantages du système de cultures en allées
Ce système de culture permet la satisfaction des besoins multiples exprimés par le paysan tel que le maintien de la production, la lutte contre les adventices, la production du bois de feu, etc. ….( Lejoly et al, 1989)
- Les emondes, la litière et les racines fines du sol constituent une source importante de la matière organique qui est un support indispensable de la fertilité des sols.
- La période de jachère est écourtée (environ une année seulement après plusieurs cycles de cultures) et durant cette période, les haies ombragent complètement les espaces intercalaires, ce qui entraîne l’élimination des adventices de culture parfois difficile à contrôler pendant la campagne culturale.
- Couverture du sol par les emondes crée des conditions favorables au développement de la pédofaune, à l’abaissement de la température et à l’amélioration des conditions du sol
- Périodes de cultures plus longues et utilisation des terres plus intenses
Bien que pour certains paysans, la technique de culture en allées soit exigeante en travail car elle nécessite parfois l’utilisation d’une main d’œuvre importante pour l’implantation et l’émondage régulier des haies, mais cela est compensé par les avantages possibles qu’on tire du système notamment : l’amélioration de la fertilité du sol, l’élimination des mauvaises herbes pendant la jachère, la production des bois de chauffe, des perches pour la construction des maisons etc.…..
Références bibliographiques
Baumer, M, 1987 : Agroforesterie et désertification. CTA : 260 P
De Staercke, P, 1994 : L’Alley cropping, une solution pour les agriculteurs des tropiques Humides. Echos du cota (Bruxelles) 41 : 3-9.
Kisangani.E., 1994 : Données pour la vulgarisation des jachères améliorantes et des cultures en allées dans le Nord-Est du Zaïre. Coll. Rech / Dév. Tenu à L’ULB, le 23-24 mai 1990. Annales de la Faculté des Sciences, UNIKIS, n° spec : 153_164
Lejoly, J., Kamabu V., Bola M., Mosango M et Bebua B, 1989 : Jachères améliorantes et fertilité des sols dans les sous –régions de Kisangani et de la Tshopo (Haut-Zaïre), Rapport de 1ère année. Projet CEE-ULB-UNIKIS, sous projet de la Faculté des Sciences : 88P
Mate, M, J.P, 2001: Croissance, phytomasse et minéralomasse des haies des légumineuses améliorantes en culture en allées à Kisangani, Thèse de doctorat en Sciences, ULB, 235P
Michon, G., De foresta H. et Levang P., 1995 : Stratégies agroforestières paysannes et développement durable : Les agroforêts à Dammar de suratia. Nature-Sciences-Sociétés 3 (3) : 207- 221.
Nair PKR, 1993: An introduction to agroforestery. Kluwer academic Publishers in cooperation with ICRAF: 499P.
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